Une fois que la représentation des prix a été choisie, il faut s’intéresser à l’échelle des prix. Arrivés à cette étape, beaucoup de débutants éprouvent des difficultés à choisir cette échelle, ne sachant pas vraiment laquelle privilégier, deux possibilités s’offrant à eux.
On peut tout d’abord utiliser une échelle arithmétique, où des écarts absolus d’un même montant sont représentés par une longueur égale. C’est ainsi qu’un écart de cours de 5€ à 10€ aura la même représentation qu’une variation qui porterait le cours de 50€ à 55€. Or si le premier mouvement traduit une évolution de 100% le second n’indique qu’une variation de 10%, ce qui n’a évidemment pas le même sens !
Dès lors, n’est-il pas plus pertinent d’utiliser une échelle de mesure où des écarts relatifs identiques seraient représentés par une même longueur, et de privilégier ainsi une échelle logarithmique ? Il me semble que cette démarche est plus appropriée, ne serait-ce que pour mieux rendre compte de l’importance relative des variations de prix et éviter que la représentation graphique ne soit sujette à caution.
Dans Pratiques et méthodes de l’analyse technique, les auteurs ont pris le parti de l’échelle arithmétique. C’est leur choix, mais les arguments qu’ils avancent pour l’expliquer me semblent pour le moins discutables. Dire en effet qu’il est préférable de se servir de l’échelle linéaire parce que les opérateurs du marché sont davantage influencés par le niveau absolu des cours que par leur niveau relatif, c’est nier à ces intervenants toute capacité de discernement.
La loi de Weber-Fechner
Quand j’ai commencé à pratiquer l’analyse technique, je pressentais qu’il était préférable de se servir de l’échelle logarithmique, mais les raisons qui justifiaient ce choix n’étaient pas encore très claires dans mon esprit. Après tout, quand je décidais d’acheter ou de vendre une action, la première chose que je vérifiais c’était le potentiel de gain en pourcentage que l’opération pouvait me rapporter, ne fût-ce que pour tenir compte des frais de courtage qui étaient exprimés en pourcentage. Il m’importait peu de gagner cent francs si je devais en reverser quatre-vingt-dix à mon agent de change. De plus, la variation des marchés était toujours retranscrite en pourcentage sur les écrans Chronoval en vogue à l’époque, et c’est également sur les variations relatives que s’appuyaient les analystes pour établir leurs commentaires. Ne disposant à mes débuts d’aucun ordinateur, j’ai construit moi-même, manuellement, mes premiers graphiques sur du papier millimétré logarithmique.
L’explication de la légitimité d’analyser les graphiques avec une échelle logarithmique m’est venue plus tard, en lisant des ouvrages sur la psychologie. Prenons l’exemple de l’écoulement du temps tel qu’on peut le ressentir tout au long de notre vie. Quand j’avais 10 ans, j’ai eu le sentiment d’attendre longtemps pour avoir un an de plus. A 40 ans, il m’a semblé que l’année écoulée avait été très courte ! Pourquoi ? Parce que certaines sensations suivent la loi de Weber-Fechner, qui affirme qu’elles sont proportionnelles au logarithme de l’excitation. C’est donc le logarithme de l’âge et non pas l’âge lui-même qu’il convient d’adopter comme mesure pour comprendre le paradoxe du temps qui passe de plus en plus vite.
Si vous n’êtes pas convaincu par ce principe de psychologie de la perception, je vous propose de faire la petite expérience suivante. Prenez 1 kilo dans une main et ajoutez-y 100 grammes, vous allez obtenir une certaine sensation d’augmentation de la masse. Eh bien, si vous prenez en main un poids de 2 kilos, ce n’est pas 100 grammes que vous devrez ajouter pour ressentir la même sensation, mais 200 grammes.
Cette loi de la psychophysique est également présente dans les comportements boursiers. Je prendrai l’exemple de deux investisseurs dont la valeur du portefeuille est respectivement de 10 000€ et 100 000€. Si ces deux portefeuilles enregistrent des augmentations respectives de 1 000€ et 2 000€, lequel de ces investisseurs sera le plus satisfait, le premier ou le deuxième ? Les expériences menées par la finance comportementale concluent que c’est la satisfaction du premier investisseur qui croîtra davantage. Le bon sens veut en effet qu’avec une augmentation relative de 10%, ce dernier obtienne une satisfaction supérieure au deuxième investisseur dont le portefeuille n’enregistre qu’une augmentation relative de 2%.
L’échelle logarithmique donne donc un reflet particulièrement fidèle de la perception subjective ressentie par les investisseurs et c’est faire preuve d’une véritable maturité dans son analyse que de travailler à partir de graphiques logarithmiques. Si l’échelle arithmétique n’est pas pertinente d’un point de vue psychologique, elle ne l’est pas plus quand il s’agit de positionner sur le graphique des droites de tendance. Prenons le cas, relativement fréquent, où le marché enregistre des phases d’accélération. Une telle configuration se traduira sur le graphique arithmétique par l’apparition d’une envolée exponentielle (cf. figure 1.15). Or il est extrêmement difficile sur ce type de courbe de tracer des droites de tendance, un procédé pourtant incontournable de l’analyse chartiste.
Figure 1.15 – Echelle arithmétique
En passant à une échelle logarithmique, une hausse ou une baisse exponentielle des prix sur le graphique arithmétique se traduira par une hausse ou une baisse linéaire (cf. figure 1.16). Cette dernière échelle permet donc de faire apparaître, et de les tracer, des droites de tendance qui ne seraient pas visibles avec l’échelle arithmétique ou qu’il faudrait alors constamment modifier.
On obtiendra généralement une unique tendance majeure, là où auparavant avec l’échelle arithmétique, il fallait dessiner plusieurs tendances.
Figure 1.16 – Echelle logarithmique
Alors que le premier graphique suggère une forte accélération à partir du mois de mai 2008, on observe que l’échelle logarithmique indique au contraire une relative stabilité de la hausse. En resituant à leur place les phases d’accélération ou de décélération, l’échelle logarithmique permet l’analyse d’un parcours boursier sur des évolutions comparables, alors que l’échelle arithmétique peut donner un sentiment d’accélération du mouvement, là où il n’y en a pas.
Mais alors, me direz-vous, comment se fait-il que certains traders utilisent encore l’échelle arithmétique ? Il se trouve que lorsque la tendance est modérée, les deux échelles donnent des résultats similaires ; c’est notamment ce qui arrive avec les graphiques en intraday.
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