Article 26 : Les figures à oscillations divergentes : triangles ouverts, têtes et épaules

Le langage des figures chartistes (4/4)

 

 

3 Les figures divergentes

 

Les deux premiers cas du modèle du Cobweb (oscillations amorties et persistantes) doivent être complétés par une troisième possibilité : celle où l’amplitude des fluctuations augmente à chaque période. Comme dans les deux cas précédents, il y a un phénomène de toile d’araignée, mais cette fois-ci, c’est l’offre qui se révèle plus élastique que la demande, autrement dit, la courbe d’offre est un peu plus horizontale que celle de la demande.

 

 

Figure 7.22 – Cobweb à oscillations divergentes

 

Au commencement, le marché part d’un niveau d’offre V0 qui est entièrement absorbé par les acheteurs au prix P0 déterminé par la fonction de demande. Le lendemain (ou la séance de Bourse suivante), les investisseurs mettent en vente une quantité de titres V1 qui correspond au prix P0 sur leur courbe d’offre. Cette offre excédentaire fait alors baisser le prix à P1. Le surlendemain, les vendeurs réagissent en ajustant à la baisse les quantités de titres V2 qu’ils désirent vendre. Cette nouvelle offre trouve une contrepartie au prix P2 et ainsi de suite. Le processus se poursuit de période en période mais en s’éloignant de la situation d’équilibre déterminée par le prix d’équilibre (PE ) et le volume d’équilibre (VE ).

 

 

 

3.1 Les figures ouvertes

 

Si à certains moments, les oscillations des prix peuvent se mettre à converger, il n’est pas rare de trouver des configurations composées d’oscillations explosives. S’il est possible de les enfermer intégralement entre un support baissier et une résistance haussière, on obtient alors une figure ouverte, un peu similaire au triangle, mais avec l’apex tournée vers la gauche. Ce type de formations est appelé « figures ouvertes » ou « broadening formation » en anglais.

 

 

Figure 7.23 – BRITISH AIRWAYS 2007

 

Tout comme il existe des triangles symétriques, les chartistes peuvent repérer sur les graphiques des figures ouvertes symétriques. Entre juillet et novembre 2007, le titre British Airways réalise une suc- cession d’oscillations de plus en plus grandes, contenues entre un support baissier et une résistance haussière. Pendant la formation de cette figure ouverte, l’orientation baissière de l’OBV montre que la pression vendeuse apparue depuis le mois de mai reste d’actualité.

 

 

Si la résistance ou bien le support est horizontal, on parle de figure ouverte à angle droit. Quand les oscillations des prix s’élargissent au-dessus d’un support horizontal (compter au moins trois pics), la figure ouverte a des implications baissières. L’incapacité des prix à se maintenir sur des sommets constitue un premier indice de fragilité du mouvement haussier. L’évolution baissière d’un indicateur tel que l’OBV indiquera au chartiste qu’il se trouve bien en face d’une figure de distribution. Une rupture du support accompagnée d’une poussée des volumes achèvera de valider le broadening dont la base pourra être reportée au point de rupture du support et donner ainsi un potentiel de baisse minimum (cf. figure 7.24).

 

 

Figure 7.24 – ACCOR 1998

 

Quelques semaines avant le krach de 1998, il était possible d’identifier sur le titre Accor une figure ouverte baissière, constituée d’une succession de trois sommets de plus en plus hauts avec à chaque fois un retour brutal sur un support horizontal situé à 40€. Le fait que les prix n’arrivent pas à se maintenir sur leurs plus hauts indiquait une perte de puissance de la tendance haussière, une hypothèse qui était renforcée par la présence d’une divergence baissière sur le Money Flow Index.

 

 

 

Quand les oscillations s’élargissent au-dessous d’une résistance horizontale, que l’évolution du rapport de force entre les vendeurs et les acheteurs s’inverse au bénéfice de ces derniers, la figure ouverte doit être considérée comme haussière, autrement dit comme une figure d’accumulation. Au sein du broadening, les mouvements de baisse se feront avec de moins en moins de volumes, tandis que les rebonds s’accompagneront d’une augmentation des transactions. Cette configuration des volumes se traduira par une divergence haussière sur l’OBV (cf. figure 7.25). Enfin, pour que le signal d’achat soit significatif et que l’objectif de hausse minimal ait toutes les chances d’être atteint, le volume doit être important au moment où la ligne de cou (résistance) est franchie. Je rappelle que cette dernière condition n’est pas toujours respectée dans le cas d’une figure baissière, en raison notamment de la structure dissymétrique existant entre les mouvements haussiers et baissiers. Les prix peuvent alors tomber rapidement et atteindre le potentiel de baisse intrinsèque de la figure chartiste même si les volumes n’ont pas été importants (cf. chapitre 5).

 

 

Figure 7.25 – Zodiac 2003

 

Entre février et avril 2003, le titre Zodiac Aerospace développe une figure ouverte. Le redressement de l’OBV au cours de cette période traduit l’inversion du rapport entre la pression vendeuse et la pression acheteuse. Selon la logique chartiste, cette condition permet d’analyser cette figure comme étant une phase d’accumulation, et d’anticiper le franchissement de sa ligne de cou. Lorsque le signal a lieu, le report de la base de la figure ouverte au point de sortie permet de calculer un objectif de hausse minimal à 19,40€.

 

 

 

3.2 Les Têtes – Epaules

 

Cette configuration, qui doit son appellation au fait qu’elle a l’allure d’un tronc humain est très certainement la figure la plus célèbre de tout le bréviaire chartiste. La Tête – Epaules (ETE) se reconnaît à ses trois sommets dont le deuxième (la tête) est beaucoup plus marqué, aussi bien en durée qu’en amplitude, que les deux autres (les épaules de part et d’autre). Si l’on relie entre eux le bas des épaules par un segment de droite, on obtient la ligne de cou de la figure, laquelle pourra être horizontale ou légèrement haussière, mais jamais baissière. Lorsque la Tête – Epaules est achevée, c’est-à-dire lorsque la ligne de cou est enfoncée avec beaucoup de volumes, il est possible d’estimer l’ampleur de la baisse en reportant verticalement la hauteur de la tête (en pourcentage) au point de rupture de la ligne de cou.

 

Figure 7.26 – EON 2008

 

Entre 2007 et 2008, le titre allemand EON a développé l’exemple parfait d’une Tête-Epaules après une longue période de hausse. En plus de l’évolution caractéristique des volumes de transactions, le chartiste pouvait s’appuyer sur l’altération du trend haussier pour anticiper la rupture de la ligne de cou de l’ETE et faire ainsi une véritable prévision chartiste. Une fois ce support enfoncé, et constatant que l’offre de titres augmentait, il n’avait plus qu’à reporter la hauteur de la tête pour mesurer le potentiel de baisse minimum.

 

 

 

En ce qui concerne le volume des transactions, les chartistes ne sont pas toujours d’accord entre eux sur son évolution. Certains estiment qu’il doit suivre l’évolution des prix, c’est-à-dire que le volume moyen qui se traite au cours de la première épaule doit être plus faible que celui qui s’échange pendant la formation de la tête. Pour d’autres, c’est l’inverse et sa courbe est d’allure générale descendante : les échanges de volumes sont particulièrement forts lors de la formation de l’épaule gauche, ils sont moins importants pendant la construction de la tête.

Dans le premier cas, cela revient à considérer que le marché reste globalement acheteur lorsqu’il entame la partie droite de la tête, mais qu’un choc aléatoire survient et impacte brutalement le consensus acheteur qui prévalait jusque-là. Dans le second cas, les anticipations des investisseurs se modifient progressivement au fur et à mesure de l’arrivée d’informations négatives ; le ratio entre la pression acheteuse et la pression vendeuse s’inverse alors au bénéfice de cette dernière. Quel que soit le scénario, chacune des parties s’accorde sur le fait que les volumes doivent être très faibles pendant la formation de l’épaule droite et plus précisément dans la phase de hausse de ce troisième sommet.

 

 

Figure 7.27 – DU PONT 1998

 

Dans l’exemple du titre Du Pont, on peut considérer que l’épaule droite correspond à un phénomène de pull back sur l’ancienne droite de tendance haussière devenue résistance. Ce rebond technique est confirmé par une diminution de la demande, qui se traduit par des prix qui progressent et des volumes qui diminuent. En reportant l’amplitude de la tête (15%) au point de rupture de la ligne de cou, on obtient un potentiel minimum de baisse à 56,50$. Autrement dit, le titre ne pourra pas repartir durablement à la hausse sans avoir atteint ce niveau de correction.

 

 

 

Si l’ETE est une figure de distribution, l’ETE inversée traduit une phase d’accumulation et sera présente à la fin d’une tendance baissière. Cette configuration est symétrique à la précédente, avec un volume des échanges qui augmente au fur et à mesure que la figure chartiste se dessine.

 

 

Figure 7.28 – LUFTHANSA 2003

 

Après une année de tendance baissière, le titre LUFTHANSA retrouve la faveur des investisseurs à partir du mois de mars 2003. Le retournement du rapport de force entre vendeurs et acheteurs s’est opéré progressivement en formant graphiquement une ETE inversée dont la ligne de cou est légèrement baissière. Quant à l’épaule droite, elle correspond à un phénomène de pull back sur l’ancienne droite de tendance baissière devenue support. On pourra remarquer qu’à partir du mois de mars 2003, le volume moyen est sensiblement supérieur à celui qui prévalait au cours des mois précédents. Par la suite, le report de la hauteur de la tête au point de rupture de la ligne de cou, permet de déterminer un objectif minimum de hausse.

 

 

La prévision chartiste dépend des signes précurseurs que nous livrent à la fois le présent et le passé. Parmi ces signes, la relation entre les prix et les volumes est de loin la plus importante. L’évolution de ces deux variables ne conditionne pas seulement la pertinence de la figure repérée, elle permet également d’anticiper le sens par lequel les prix vont s’en échapper, ce qui aboutit ainsi à une véritable prévision. Or jusque-là, la dichotomie adoptée pour classifier les figures chartistes manquait de rigueur, certaines pouvant être mixtes et traduire aussi bien des phases de consolidation que des phases de retournement de tendance. En utilisant le diagramme du Cobweb, il est possible de modéliser les différentes figures chartistes, et de proposer une nouvelle classification selon que les oscillations sont convergentes, persistantes ou divergentes.

Mais cette méthode de reconnaissance de formes reste quelque peu subjective et susceptible de nombreuses interprétations. La figure 7.29 qui illustre cette remarque représente-t-elle un oiseau ou une antilope ? Je vous invite à comparer votre perception du dessin avec l’impression qui s’en dégagerait si celui-ci était placé à côté d’une image représentant un troupeau d’antilopes (à gauche) ou une bande d’oiseaux (à droite). On ne peut pas parler d’une illusion d’optique, car le dessin représente bien une forme objectivement reproductible, mais comme notre cerveau s’adapte au contexte, la perception qu’on en a varie selon l’environnement dans lequel elle apparaît. Ce phénomène visuel se reproduit également lorsqu’on examine un graphique boursier. Un opérateur pessimiste sur l’évolution du marché pourra être tenté, consciemment ou non, de rechercher une formation baissière alors que dans le même temps et sur le même graphique, un investisseur plus optimiste pourra être enclin à chercher une figure haussière (cf. biais de confirmation).

 

 

Figure 7.29 – Test de subjectivité

 

Source : Paul Samuelson – Introduction à l’analyse économique – 1978

 

 

C’est pourquoi il faut être particulièrement sélectif dans la reconnaissance des figures chartistes ; il ne s’agit pas d’en voir un peu partout. Les repérer sans utiliser les volumes n’a aucune légitimité, d’autant que des figures ou des tendances peuvent également être perçues sur des séries aléatoires, qui par définition interdisent toute prédiction fondée sur leur passé. Dans le respect de toutes les règles, certes le nombre de figures identifiées diminue, mais la prévision chartiste s’améliore.

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