Article 2 : Les bougies japonaises : petits corps versus longs corps (1/4)

Les bons graphiques font les bons analystes chartistes (1/4)

 

Le terme chartiste provient du mot anglais « chart ». Il n’est alors pas surprenant que la plupart des outils techniques fassent la part belle aux graphiques et l’utilisent comme support d’analyse et de prévision. Du reste, ne dit-on pas qu’un petit dessin vaut mieux qu’un grand discours ? Un graphique est indéniablement plus parlant qu’un tableau de chiffres car il permet à l’œil de comparer plus rapidement des éléments et de mieux visualiser les différents aspects de l’évolution d’un phénomène qui se déroule dans le temps, c’est-à-dire ses tendances, ses rythmes et ses ruptures.

Pour la forme du graphique et en ce qui me concerne, j’utilise principalement, mais pas exclusivement, le graphique chronologique, le- quel occupe une place prépondérante en analyse technique. Celui-ci est formé par la succession des observations d’une même grandeur au cours du temps. L’axe des abscisses, celui qui est horizontal, représentera le temps, plus précisément une mesure du temps exprimée en mois, semaines, jours, heures ou minutes…, alors que les prix et les volumes figureront sur l’axe vertical des ordonnées. En se polarisant sur la dynamique des prix et des volumes, ce type de graphique est parfaitement adapté pour tirer des événements passés, un certain nombre d’indications concourant à la compréhension du présent et à l’anticipation du futur proche.

Il s’agit tout d’abord pour le chartiste de choisir une représentation des prix. La représentation la plus simple des cours boursiers est assurée par le graphique en ligne. Je l’utilise encore dans le cas où la série boursière que je souhaite analyser ne comporte qu’une seule information : généralement les titres ou les marchés cotés au fixing ou bien encore pour l’étude des forces relatives.

Quand je dispose également de l’ouverture, du plus haut et du plus bas, je préfère adopter les bougies  japonaises (candlesticks). C’est la représentation des cours boursiers la plus ancienne et bien qu’elle contienne les mêmes informations que le bar chart, celles-ci sont beaucoup plus lisibles. Commencer par les bougies est également un bon moyen pour le débutant de se familiariser avec la psychologie boursière.

 

Figure 1.1 – Les trois graphiques de base

 En haut à gauche, le line chart est construit en reliant entre eux les cours de clôture. A droite, le bar chart est une succession de traits verticaux indiquant l’ouverture, le plus haut, le plus bas et la clôture. En bas, le candlestick reprend les informations du bar chart en différenciant la relation entre l’ouverture et la clôture.

Les candlesticks sont apparus au Japon au cours du XVIIIe siècle, et ont acquis leurs lettres de noblesse grâce à Sokyu Honma, riche négociant en riz, qui en spéculant également sur le marché à terme de cette denrée avait amassé une fortune colossale.

Né officiellement à Sakata, en 1724, il se fit d’abord remarquer en imaginant et en mettant en œuvre un astucieux système de transmission des cotations. Comme le marché à terme du riz était localisé à Osaka, au Dojima Rice Exchange, et qu’il résidait à 600 km de là, il élabora un réseau de communication entre les deux villes. Celui-ci était constitué par 150 commis, placés sur les toits des maisons, et qui transmettaient les informations en agitant des drapeaux, un moyen de communication utilisé de longue date dans les armées japonaises. Tenu ainsi au courant des prix du riz, Sokyu Honma mis au point une méthode (Sakata constitution) pour prévoir l’évolution du prix du riz le lendemain, à partir de l’observation des mouvements de prix de la veille.

Figure 1.2 – Portrait supposé de Sokyu Honma

En plus d’être un spéculateur hors pair, Sokyu Honma a écrit en 1755, « San-en Kinsen Hiroku », le premier livre traitant de la psychologie des marchés financiers. Il fait notamment remarquer que lorsque le moral de tous les spéculateurs est baissier, le marché redevient haussier. N’est-ce pas là, le fondement du principe contrarien ?

 

Selon Hiroshi Okamoto, le président de la très honorable Nippon Technical Analyst Association, l’enregistrement des prix se faisait à l’origine, non sur un graphique chronologique, mais sous la forme d’un tableau vertical, à l’instar de l’écriture japonaise dont les caractères s’écrivent verticalement. Ce n’est qu’à partir de la création de la Bourse des valeurs mobilières, en 1870, qu’apparurent les bougies telles que nous les utilisons aujourd’hui. Et encore, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les graphiques se lisaient de la droite vers la gauche, ce qui peut expliquer, en plus de l’obstacle de la langue, que jusqu’à cette période, les bougies japonaises n’aient pas réussi à percer en Occident. Les traders américains ou anglais durent attendre la traduction du livre de Seiki Shimizu (The Japanese Chart of Charts), en 1986, pour commencer à se familiariser avec cette technique.

 

 

Les bougies japonaises

La technique des bougies est avant tout visuelle. Elle a été mise au point pour donner une photographie du rapport entre les forces d’achat et de vente qui se sont affrontées lors d’une séance de cotation, et qui provoquent au final la variation du prix. Ces formes de représentation n’expliquent donc pas, elles décrivent seulement le combat que se livrent les acheteurs et les vendeurs. Celui qui connaît un peu l’histoire et la culture du Japon ne sera donc pas étonné du langage militaire souvent employé pour décrire ce rapport de force : attaque du matin ou du soir, contre-attaque haussière ou baissière, les trois soldats qui avancent ou encore la ligne perçante, etc…

Cette technique repose sur la relation entre le cours d’ouverture et le cours de clôture. La représentation de cet écart se fait par un rectangle que l’on appelle le corps de la bougie (jittai). Deux traits fins tracés de part et d’autre de cette section, les mèches, renseigneront sur le plus haut (uwakage) et le plus bas de la séance (shitakage). Quand le marché clôture au-dessous de l’ouverture, le corps est noir (yin). Il est blanc dans le cas inverse (yang).

Selon Steve Nison, l’auteur de Japanese Candlestick Charting Techniques, « les cours d’ouverture et de clôture sont les deux moments les plus chargés d’émotion d’une séance de Bourse ». C’est pourquoi il convient d’accorder une importance prépondérante aux corps plutôt qu’aux mèches. En concentrant toutes les nouvelles accumulées depuis la veille, la première heure de cotation, appelée « l’attaque du matin », permet de savoir qui des acheteurs ou des vendeurs a pris l’initiative de- puis l’ouverture. Le cours d’ouverture devient ainsi une référence pour la journée, au même titre que le cours de clôture de la veille. Quant à « l’attaque du soir », son importance est essentielle pour le chartiste qui attend généralement de voir où le marché clôture pour obtenir la confirmation d’un signal graphique. Afin de prendre en compte l’importance des corps, je les utilise notamment comme appui pour tracer mes supports et mes résistances.

En constituant la première information sur la vitalité du marché, un chandelier est donc à lui seul empreint d’une signification. Il suffit de regarder la dimension et la couleur de son corps pour obtenir une photo instantanée du rapport de force entre les haussiers et les baissiers. Il n’est donc pas étonnant que dans les mouvements baissiers, la plupart des bougies soient noires, alors qu’elles sont blanches dans les mouvements haussiers.

Si la couleur du corps est la première information visible à l’œil, sa taille constitue également un indice sur l’équilibre entre les acheteurs et les vendeurs. Les petits corps traduisent une lutte acharnée entre les haussiers et les baissiers sans qu’aucune des deux parties ne l’emporte. Ils sont donc le reflet d’une indécision. A l’inverse, un grand corps traduit une assurance du marché et sa prise en main par l’une des deux parties. 

 

1.1 Petits corps versus longs corps

Un long corps blanc indique que les acheteurs ont conservé la main tout au long de la séance tandis que les vendeurs ont dominé toute la séance lors d’un long corps noir. Les longs corps ont généralement des mèches très courtes (yasunebike), une seule mèche (yoritsuki takane), voire aucune (yin ou yang marubozu). Un long blanc se caractérise par une séance qui ouvre sur ou à proximité du plus bas de la séance, par une variation intra séance très importante, puis qui clôture sur ou près de son plus haut de la séance.

Par définition, un petit corps est caractérisé par une clôture proche de l’ouverture, ce qui explique que sa couleur, c’est-à-dire la position du cours de clôture par rapport au cours d’ouverture n’a pas d’importance dans l’analyse. Un petit corps qui survient après une série de longs corps de même couleur indique que le marché perd de sa puissance.

S’il fait suite à une série de longs corps blancs, cela suggère que l’offensive des haussiers a été bloquée par les baissiers, et réciproque- ment. Cela ne veut nullement dire que le mouvement haussier est terminé et qu’il va laisser la place à un mouvement de sens contraire, car l’information apportée par les petits corps est uniquement celle d’une hésitation du marché, due à un relatif équilibre entre les forces d’achat et celles de vente.

 

Figure 1.3 – plusieurs petits corps après un grand corps

L’apparition de plusieurs petits corps après la formation d’un grand corps est généralement un signe de consolidation du marché. Si le grand corps est blanc, le mouvement devrait repartir à la hausse. Dans le cas où le grand corps est noir, il faut s’attendre à une poursuite de la baisse. Dans l’exemple ci- contre, après la formation d’un long corps noir le 24 mai, INTEL s’est mis à consolider avec toute une série de petits corps qui se sont maintenus au-dessus de la clôture du 24 mai. Puis ce niveau a été enfoncé et l’apparition d’un deuxième long corps noir le 4 juin a donné le signal d’une nouvelle vague de baisse. 

Pour obtenir des informations plus précises, notamment sur le risque de mouvement en sens inverse, les petits corps doivent être analysés avec leurs mèches. La longueur des mèches et la position du « bébé » (petit corps) par rapport à celles-ci, livrent en effet des informations intéressantes sur le rapport de force entre les acheteurs et les vendeurs au cours d’une séance de Bourse. Prenons l’exemple du doji. Cette bougie se caractérise par une clôture identique à l’ouverture. Cela signifie qu’après l’ouverture, le marché s’est engagé dans une direction donnée, puis a rebroussé chemin pour partir dans la direction opposée, et a finalement clôturé à son point de départ.

Figure 1.4 – Les différents types de doji

Le premier schéma montre un doji au milieu de la bougie (yoseline), c’est-à-dire à égale distance entre la mèche haute et la mèche basse. Si on ne tient pas compte du contexte dans lequel il apparaît, cette indication est neutre et témoigne d’un parfait équilibre entre les acheteurs et les vendeurs au cours de la séance. Dans le cas n°2, le doji est situé dans le bas de la bougie (tohba). L’importance de la mèche haute indique que l’offensive menée par les acheteurs a fait long feu. Les vendeurs ont contre-attaqué et gardé la main en fin de séance. Enfin, dans le dernier cas (tonbo), le rapport de force favorable dans un premier temps aux vendeurs s’est inversé au cours de la période au profit des acheteurs.

 

 

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