Au cœur de l’analyse technique (1/3)
Personne ne peut contester que le volume constitue une information indispensable pour le technicien de marché. En effet, la qualité et la force d’un mouvement sur les prix ne peuvent s’apprécier qu’en fonction des variations de cette variable, selon les principes de l’offre et de la demande indiqués précédemment et que je vais développer plus longuement durant ce nouveau chapitre. Mais comme les informations directement récoltées dans le carnet d’ordres, telles que le rapport entre la demande et l’offre, l’élasticité de la demande ou celle de l’offre, sont difficiles à obtenir et ne sont pas toujours fiables, en raison notamment de la présence des ordres cachés, les analystes préfèrent se concentrer sur le niveau des transactions échangées au cours des séances de Bourse.
La prise en compte des transactions par l’analyse technique est intimement liée à l’apparition de cette discipline, et il revient encore à Charles Dow d’en avoir établi la première règle d’utilisation. Celle-ci stipule que les volumes doivent accompagner la tendance des prix. Si cette dernière est haussière, les volumes doivent suivre cette ligne. Quand la dynamique des prix est baissière, la tendance des volumes est à la baisse.
Précisons tout de suite que si l’analyse chartiste utilise les volumes, cela ne signifie pas qu’elle suppose l’existence d’une corrélation étroite entre ces derniers et les variations de prix. Si c’était le cas, la corrélation entre ces deux variables serait forte et positive. Or il n’en est rien puisque le calcul des coefficients de corrélation entre les prix et les volumes échangés est généralement proche de zéro. A titre d’exemple, celui de l’indice CAC40 sur la période 2003 à 2009 affiche une valeur de -0,031 ! A la vue de ce résultat, le moins que l’on puisse dire, c’est que le principe de Dow est loin d’être vérifié.
En fait, la relation entre les deux variables fondamentales de l’analyse technique est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. S’il y a bien des périodes où la corrélation est significativement forte et positive (par exemple de novembre 2005 à février 2006 sur l’indice CAC40), il y en a aussi où la relation entre les prix et les volumes échangés est négative (de décembre 2007 à février 2008 toujours sur l’indice CAC40). Cette alternance de phases de corrélation positive avec des phases de corrélation négative se traduit par une corrélation globalement nulle sur longue période.
1 Les règles fondamentales de l’analyse technique
Dès lors, pour bien comprendre les interactions entre ces deux variables, il convient de faire appel au mécanisme de l’offre et de la demande. En me basant sur celui-ci, je tire quatre règles à partir desquelles je peux analyser la plupart des cas possibles de la relation prix – volumes, ce qui me permet d’obtenir des informations précieuses sur la probabilité que la tendance se poursuive ou bien qu’elle se retourne. Ces règles sont synthétisées dans le tableau ci-dessous :
1.1 Relations prix et volumes
Si les prix montent et que le nombre de titres échangés augmente (premier cas du tableau précédent), cela ne peut s’expliquer que par un déplacement vers le haut de la courbe de demande (cf. figure 5.1). D’un point de vue comportemental, une telle configuration ne peut s’interpréter que par l’existence d’anticipations haussières. C’est bien parce que les investisseurs anticipent pour l’avenir une progression encore plus marquée des prix qu’ils vont se mettre à acheter maintenant.
Figure 5.1 – Les prix et les volumes augmentent
1re étape : en t0 le prix de marché se situe en P0 (à l’intersection de D0 et O0 ), pour un volume échangé V0
2e étape : si par exemple, les investisseurs anticipent une hausse des profits de la société, ils seront alors disposés à acheter le titre plus cher ; cela se traduit par une augmentation de la demande qui se décale vers le haut en D1
3e étape : un nouveau prix de marché est trouvé en P1 auquel lui correspond un nombre de titres échangés V1
On vérifie que l’on a bien dans ce cas : P1 > P0 et V1 > V0
Source : Jérôme Boumengel
Dans le deuxième cas, si les prix progressent mais que le nombre de titres échangés diminue, cela ne peut s’expliquer que par un déplacement vers le haut de la courbe d’offre (cf. figure 5.2). D’un point de vue comportemental, cette situation intervient quand le rapport de force commence à devenir favorable aux acheteurs. Ceux-ci ne sont plus aussi pressés d’acheter tandis que les prétentions des vendeurs restent les mêmes. Ces derniers préfèrent alors retirer leurs titres du marché plutôt que d’accepter une diminution de prix à laquelle ils ne sont pas encore prêts, d’où le déplacement de la courbe d’offre vers le haut (diminution de l’offre). On a donc d’un côté des acheteurs qui commencent à intégrer une baisse future des prix, face à des vendeurs qui campent sur leurs positions, encore aveuglés par la hausse passée des prix.
Figure 5.2 – Les prix augmentent et les volumes diminuent
1re étape : en t0 , le prix de marché est en P0 ( à l’intersection de D0 et O0 ), pour un volume échangé V0
2e étape : si, les acheteurs se font plus rares, les vendeurs ne sont pas encore prêts à baisser leurs prétentions. Ils préféreront conserver leurs titres plutôt que les brader ; cela se traduit par une diminution de l’offre qui se décale vers le haut en O1
3e étape : un nouveau prix de marché est trouvé en P1 auquel lui correspond un nombre de titres échangés V1
On vérifie que l’on a bien dans ce deuxième cas : P1 > P0 et V1 < V0
Source : Jérôme Boumengel
A l’opposé du premier cas, si le nombre de titres offerts augmente alors que leurs prix baissent, cela ne peut s’expliquer que parce que les investisseurs appréhendent pour l’avenir une poursuite de la chute des prix. Dans cette configuration, c’est la courbe d’offre qui se décale vers le bas (cf. figure 5.3).
Figure 5.3 – Les prix diminuent et les volumes augmentent
1re étape : en t0, le prix de marché est en P0 (à l’intersection de D0 et O0 ), pour un volume échangé V0
2e étape : si par exemple, les investisseurs anticipent une hausse des taux d’intérêt, ils modifieront leurs évaluations du titre à la baisse; cela se traduit par une augmentation de l’offre qui se décale vers le bas en O1
3e étape : un nouveau prix de marché est trouvé en P1 auquel lui correspond un nombre de titres échangés V1
On vérifie que l’on a bien dans ce troisième cas : P1 < P0 et V1 > V0
Source : Jérôme Boumengel
Concernant le quatrième et dernier cas, si les prix et le nombre de titres échangés diminuent conjointement, cela ne peut s’expliquer que par un déplacement vers le bas de la courbe de demande (cf. figure 5.4). D’un point de vue comportemental et en inversant le raisonnement appliqué dans le deuxième cas, une telle situation intervient quand le rap- port de force commence à devenir favorable aux vendeurs. Ceux-ci ne se trouvent plus dans l’urgence économique ou émotionnelle de vendre leurs titres, tandis que dans l’autre camp, les acheteurs ne sont pas encore disposés à envisager une augmentation de prix, d’où le déplacement vers le bas de la courbe de demande (diminution de la demande). On a donc d’un côté des vendeurs qui commencent à intégrer une hausse fu- ture des prix, face à des acheteurs qui sont encore sous l’influence de la baisse passée des prix.
Figure 5.4 – Les prix et les volumes diminuent
1re étape : en t0 , le prix de marché est en P0 (à l’intersection de D0 et O0 ), pour un volume échangé V0
2e étape : les vendeurs se font plus rares, les acheteurs ne sont quant à eux pas prêts à augmenter leur mise. Ils préféreront rester à l’écart plutôt qu’acheter au prix fort ; cela se traduit par une diminution de la demande qui se décale vers le bas en D1
3e étape : un nouveau prix de marché est trouvé en P1 auquel correspond un nombre de titres échangés V1
On vérifie que l’on a bien dans ce dernier cas : P1 < P0 et V1 < V0
Source : Jérôme Boumengel
Ces quatre règles valables pour les marchés boursiers, le sont également pour d’autres marchés de l’occasion tels que l’immobilier ancien. Je me souviens avoir entendu un jour à la radio des commentaires positifs entourant la publication des ventes de logements anciens, lesquelles étaient ressorties supérieures aux attentes. Pour le journaliste qui commentait cette statistique, la hausse de 9% était un signe particulièrement rassurant après une baisse de 5% le mois précédent.
Pour justifier son optimisme, notre économiste en herbe argumenta par le fait que la vente de maisons existantes entraîne toute une série d’achats et de dépenses (meubles et électroménager, services de transport, commissions pour les agents immobiliers, travaux de rénovation, …), ce qui ne pouvait qu’être globalement bénéfique pour l’économie américaine. Persistant dans l’erreur, il pointa également du doigt la baisse du prix médian des logements de l’ordre de 7%, qui devait favoriser « des achats à bon compte de la part de consommateurs plus confiants sur leur situation financière ».
Mais notre commentateur aurait très bien pu dire qu’une baisse des prix de l’immobilier se traduit également par un effet de richesse négatif qui agit comme un frein à la consommation des ménages et contrebalance les effets positifs qu’il avait cités. Mais surtout, et en restant strictement sur le plan de l’analyse technique, une baisse des prix conjuguée avec une hausse des transactions n’est pas une configuration positive comme je l’ai indiqué plus haut. Bien au contraire, c’est le signe que les vendeurs craignent des baisses de prix encore plus fortes dans l’avenir, un comportement qui place le marché de l’immobilier ancien dans une tendance clairement baissière.
Pour bien comprendre les relations entre l’offre et la demande, voici un autre exemple d’analyse tiré encore une fois du marché immobilier. Une note de conjoncture du Conseil supérieur du notariat français, parue en septembre 2008, indiquait que les volumes de transactions dans les logements anciens des grandes villes de province avaient plongé de 25% au premier semestre 2008. Dans le même temps, la note faisait état d’une modeste hausse des prix, mesurée à l’aune de l’indice Notaires-Insee (+3,6% pour les appartements et +4,3% pour les maisons). Que pouvait-on donc en déduire sur l’état du marché immobilier en province ?
En termes de relation prix et volumes, la situation correspond au deuxième cas. S’il y a une diminution de l’offre, c’est parce que le rapport de force commence à devenir favorable aux acquéreurs. Ces derniers ne sont plus aussi pressés d’acheter et commencent à intégrer dans leurs anticipations une baisse future des prix. Ce n’est pas encore le cas des vendeurs dont les prétentions sont restées les mêmes et qui préfèrent re- tirer leur bien du marché (pour le louer par exemple) plutôt que d’accepter une diminution de son prix. La réduction de l’offre permet d’établir un prix d’équilibre plus haut qu’auparavant, mais en contrepartie d’une réduction des transactions.
L’investisseur averti se serait montré sceptique face à la sensible diminution des transactions. Une telle configuration étant caractéristique de la fin des cycles haussiers, l’optimisme des notaires sur une hausse modérée des prix pour les années à venir, pouvait légitimement être remis en cause.
1.2 Le graphique du Counter Clockwise
Du modèle précédent de l’offre et de la demande, on peut également représenter les prix et les volumes dans l’espace des phases (à deux dimensions), ce qui consiste à porter ces deux variables, non plus en fonction du temps, mais l’une en fonction de l’autre.
On obtient ainsi un graphique appelé « Counter Clockwise », qui traduit une sorte de trajectoire dans l’espace des valeurs possibles où chaque point correspond à un moment donné. Son nom provient du fait que la configuration qu’il traduit est positive si la courbe suit un mouvement de rotation dans le sens inverse des aiguilles d’une montre ; la configuration est négative dans l’autre cas (cf. graphiques ci-après).
Figure 5.5 – Counter clockwise du CAC40 en 1998
Comme c’est très souvent le cas dans les fins de bull market, le dernier mouvement de hausse du CAC40 au cours des mois de mai et juin 1998, s’est accompagné d’une diminution des transactions. Le counter clockwise évoluait en effet de la droite vers la gauche. Puis il se retourne à partir du mois de juillet et son orientation baissière de la gauche vers la droite indique une forte pression vendeuse qui atteint un paroxysme au mois de septembre. Dans une troisième étape, à partir du mois d’octobre, le counter clockwise se retourne de la droite vers la gauche, ce qui signifie que l’indice CAC40 remonte mais avec des volumes qui diminuent. Enfin, dans une dernière étape, l’indicateur change de direction à partir du mois de novembre et repart à la hausse de la gauche vers la droite signalant un retour de la pression acheteuse.
Source : Jérôme Boumengel
Figure 5.6 – Counter clockwise du CAC40 en 2000
Dans un premier temps, la hausse de l’indice CAC40, de 5600 vers 6200 points, a été associée à une augmentation des volumes (de gauche à droite). Dans une deuxième étape, si la dynamique haussière de l’indice s’est poursuivie du mois de mars au mois d’août, permettant au CAC40 d’atteindre les 6600 points, force est de constater qu’elle s’est accompagnée d’une diminution des volumes (de droite à gauche). Encore une fois, ce type de configuration est significatif des fins de bull market. Enfin, dans une troisième étape, on a pu assister à partir du mois de septembre à un retournement du counter clockwise qui se met à baisser de la gauche vers la droite. Cette configuration traduit l’apparition d’une forte pression vendeuse, et le point de départ du grand marché baissier.
Source : Jérôme Boumengel
Figure 5.7 – Counter clockwise du CAC40 en 2003
Dans un premier temps, le counter clockwise s’enroule sur lui-même et dessine une boucle de la droite vers la gauche qui décrit le retournement de tendance intervenu pendant le premier trimestre 2003. Durant cette phase où la pression acheteuse a succédé à une pression vendeuse, l’indice est remonté au-dessus des 2900 points après avoir touché un plus bas à 2600. Puis au mois de mai, l’indice s’est stabilisé autour des 3000 points dans des échanges en forte augmentation, avant de repartir à la hausse avec de faibles volumes en raison de la période estivale. Ce n’est qu’à partir du mois d’octobre que les volumes accompagnent le mouvement de hausse de l’indice.
Source : Jérôme Boumengel
Figure 5.8 – Counter clockwise du CAC40 en 2007
Un premier mouvement montre que la hausse de l’indice, de 5500 vers 5700 points, s’est accompagnée d’une diminution des volumes (de droite à gauche) ; puis la hausse jusqu’à 6100 points s’est conjuguée avec une légère augmentation des volumes (de gauche à droite) ; ensuite, on assiste à un retournement du counter clockwise qui se met à baisser de la gauche vers la droite, traduisant l’apparition d’une forte pression vendeuse et le début d’un grand marché baissier.
Source : Jérôme Boumengel
Figure 5.9 – Counter clockwise du CAC40 en 2008
Un premier mouvement montre que la baisse de l’indice, de 5500 vers 4750 points, s’est conjuguée avec une augmentation des volumes (de gauche à droite) ; puis le counter clockwise s’est enroulé sur lui-même, indiquant une reprise technique accompagnée d’une di- minution des volumes. Une fois ce mouvement terminé, la pression vendeuse a repris ses droits jusqu’à 3700 points. Ensuite, on assiste à un retournement du counter clockwise qui continue à baisser mais de la droite vers la gauche, ce qui traduit un essoufflement de la pression vendeuse.
Source : Jérôme Boumengel
Figure 5.10 – Counter clockwise du CAC40 en 2009
En janvier et février 2009, l’indice CAC40 continue de subir une forte pression vendeuse mise en évidence par la baisse du counter clockwise de la gauche vers la droite. Puis à partir du mois de mars, le retournement de la courbe de la droite vers la gauche et sa remontée en direction du nord-est traduisent l’inversion du rapport de force entre la pression vendeuse et la pression acheteuse, à l’avantage de cette dernière. A partir du mois d’avril, la dynamique haussière de l’indice est confirmée par la hausse des transactions.
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