L’indispensable volume d’échanges (4/4)
3 Le mécanisme de l’offre et de la demande
Quand on me demande comment il est possible à un analyste chartiste de faire une prévision boursière à partir de la seule observation de ses graphiques, je réponds toujours que c’est dans la bonne compréhension des mécanismes de l’offre et de la demande qu’il convient de trouver la réponse.
La première étape du raisonnement consiste à se rappeler que les Bourses où se négocient les actions, les obligations, les devises ou encore les matières premières, sont parmi les marchés, ceux qui sont les plus concurrentiels, c’est-à-dire selon la définition de l’économiste américain Gregory Mankiw, des marchés sur lesquels « les acheteurs et les vendeurs sont tellement nombreux qu’aucun d’eux ne peut exercer une influence significative sur les prix ».
Or dans la mesure où l’offre et la demande sont les deux constituants essentiels d’un marché concurrentiel, le point de départ d’une prévision chartiste ne peut que reposer sur les deux points communs à cette offre et à cette demande, à savoir le prix et les quantités échangées.
3.1 La construction des courbes
La deuxième étape passe par une analyse des mécanismes de l’offre et de la demande réalisée à partir de leur représentation graphique dans l’espace prix-quantité. Dans cette représentation, l’axe des ordonnées représente les prix tandis que les volumes échangés se situent sur l’axe des abscisses. L’offre et la demande sont toutes les deux des relations entre le prix et les quantités : la courbe de demande représente à l’instant t, l’ensemble des relations entre les prix et les volumes demandés.
Figure 4.15 – La courbe de demande
La loi de la demande s’exprime de manière très simple : plus le prix d’un bien baisse, plus la quantité demandée pour ce bien augmente. En d’autres termes, la demande est normalement une fonction décroissante du prix. Pour le chartiste, une résistance sera alors définie par l’intersection entre l’axe des ordonnées et la courbe de demande ; au-dessus de ce niveau (15 dans le graphique ci-dessous), il n’y a en effet plus d’acheteur.
Si la demande du marché correspond au nombre de titres que les acheteurs sont disposés à acquérir en fonction du prix, la courbe d’offre correspond au nombre de titres proposés par les vendeurs en fonction du prix.
Figure 4.16 – La courbe d’offre
La relation entre les prix et les volumes offerts est représentée par la courbe d’offre. Dans la mesure où les quantités offertes sont de plus en plus importantes au fur et à mesure que les prix augmentent, l’offre est une fonction croissante du prix. Le chartiste définira un support comme le point d’intersection entre la courbe d’offre et l’axe des ordonnées ; au-dessous de ce niveau, il n’y a plus aucun vendeur.
Source : Jérôme Boumengel
Si la Bourse est bien organisée, elle doit permettre d’aboutir très rapidement, grâce aux forces du marché, à la détermination d’un prix d’équilibre pour lequel l’offre et la demande sont égales. A l’équilibre, tous les investisseurs auront la possibilité de se procurer les titres qu’ils souhaitent acquérir, et a contrario, aucun investisseur ne se trouvera dans l’impossibilité de vendre ceux dont il veut se débarrasser. En confrontant les offres et les demandes, le marché boursier arrive ainsi, selon la formule d’André Orléans, à « produire un jugement collectif qui a le statut d’une évaluation de référence ».
Pour bien saisir comment le fonctionnement d’un marché permet d’arriver à la détermination de ce prix d’équilibre, il suffit de se remémorer le fonctionnement du carnet d’ordres. Prenons, en le simplifiant et en le schématisant, l’exemple de la cotation d’une action à l’ouverture de la Bourse de Paris. Quelques minutes avant l’ouverture du marché, les échangistes saisissent sur leur clavier les quantités de titres qu’ils désirent acheter ou vendre sur la base par exemple du cours de clôture de la veille. Dans la deuxième étape de ce processus, un ordinateur centralise les informations et calcule l’écart qu’il peut y avoir entre l’offre et la demande. Si l’écart est positif, c’est-à-dire si l’offre est supérieure à la demande, l’ordinateur affiche un prix inférieur au prix initial ; si l’écart est négatif, c’est-à-dire si la demande est supérieure à l’offre, c’est un prix supérieur au prix initial qui sera affiché. L’opération est répétée jusqu’à ce que l’offre et la demande soient égales et que l’on parvienne ainsi à établir une première cotation (le cours d’ouverture).
Figure 4.17 – La détermination du prix
L’équilibre sur un marché est représenté sur le graphique prix – quantité par l’intersection des courbes d’offre et de demande. A partir de l’intersection de ces deux courbes, on trouve le prix d’équilibre et la quantité échangée à cet équilibre, avec bien entendu une parfaite égalité entre les quantités vendues et achetées.
Source : Jérôme Boumengel
3.2 Les déplacements de l’offre et de la demande
Lors d’un séminaire, un des participants m’a fait remarquer que les prix de l’aluminium augmentaient constamment depuis plusieurs années, ainsi que la demande industrielle de ce métal. Ce participant se demandait si l’augmentation simultanée du prix et de la demande ne contredisait pas ce que je venais de dire sur l’orientation baissière de la courbe de demande. Sa question avait le mérite de révéler la confusion qu’il peut y avoir entre la structure de la demande, c’est-à-dire les mouvements le long de la courbe, et ses déplacements (vers le haut ou vers le bas) dans le plan.
Cette deuxième situation correspond à un changement de l’ensemble des relations entre les prix et les quantités demandées. Si une augmentation de la demande produit normalement une augmentation du prix, il faut bien comprendre que cette augmentation de prix est un effet de l’augmentation de la demande et non sa cause.
En revanche, une augmentation du prix, toutes choses égales par ailleurs, serait la cause d’une diminution des quantités demandées et donc d’un déplacement le long de la courbe de demande. Alors comment se fait-il que l’offre et la demande se déplacent ?
D’une part, ce sont les modifications des variables économiques, financières, politiques, météorologiques retenues par les spéculateurs pour construire leurs anticipations qui vont agir sur l’offre et la demande. Mais les spéculateurs peuvent également prendre leurs décisions en fonction de l’observation des prix passés et des volumes échangés. Ce sont ces types de comportement que cherchent à appréhender les méthodes chartistes.
L’analyse serait simple si cette dynamique en restait là, mais c’est loin d’être le cas. A chaque instant, non seulement les courbes d’offre et de demande se déplacent dans le temps (vers le haut ou vers le bas), mais leur pente subit également des modifications. Ici l’offre devient un peu plus élastique, là c’est l’élasticité de la demande qui augmente. Parfois même, une partie de la courbe est élastique et l’autre pas…
1.3 L’élasticité des prix
« Pour les biens manufacturés, la demande doit varier plus que le prix, tandis que pour les choses les plus nécessaires, comme pour les plus superflues, la demande varie peu en comparaison des prix ». Cette citation d’Augustin Cournot (1801-1877) nous rappelle que c’est à cet économiste français que l’on doit la notion d’élasticité.
D’une manière générale, l’élasticité des prix est un concept qui mesure la sensibilité des acheteurs ou des vendeurs à des changements de prix. Alors que l’élasticité de l’offre s’intéresse à la sensibilité des vendeurs, l’élasticité de la demande se focalise sur celle des acheteurs. La problématique consiste ici à quantifier la réaction de la demande ou de l’offre par rapport à une variation de prix, autrement dit, il s’agit de répondre à la question suivante : si les prix varient de 1%, de combien les volumes demandés ou offerts varieront-ils ?
L’élasticité de la demande
La mesure de la sensibilité de la demande par rapport au prix s’effectue grâce à ce que l’on appelle le coefficient d’élasticité par rapport au prix. Cet indicateur correspond à la variation en pourcentage des volumes demandés divisée par la variation en pourcentage du prix, selon la formule suivante :
Dans la mesure où les deux phénomènes sont de sens opposés (corrélation négative entre la demande et les prix), le coefficient d’élasticité est négatif. A partir de cette définition, il est possible de distinguer si la demande est élastique ou inélastique.
Figure 4.18 – L’élasticité de la demande
Une demande élastique implique que les acheteurs soient relativement sensibles à un changement de prix. Par exemple, une baisse des prix les incitera à acheter davantage de titres ; or si les acheteurs considèrent une baisse des prix comme une aubaine, c’est parce qu’ils estiment que ce mouvement n’est que passager. Cette consolidation leur donne ainsi l’opportunité d’accumuler des titres en perspective d’une hausse qu’ils pensent prochaine. Une demande inélastique signifie au contraire que les acheteurs sont relativement insensibles à tout changement de prix. Pour reprendre le cas de la baisse des prix, celle-ci ne les incitera pas à acheter davantage de titres, ce qui pourra s’interpréter comme un signe de défiance ; les acheteurs potentiels estiment alors que la baisse des prix a de grandes chances de durer.
Dans le cas d’une demande élastique, la moindre variation du prix à la hausse ou à la baisse par rapport au prix initial entraînera une variation supérieure de la demande par rapport à la demande initiale. Par exemple, si la variation de prix est de +4% et que la variation de la demande est de -10%, le coefficient d’élasticité sera égal à -10/4, soit -2,5. Dans le cas d’une demande inélastique, le pourcentage de variation des quantités demandées sera inférieur au pourcentage de variation des prix. Par exemple, si la baisse des quantités demandées est de 6% tandis que les prix progressent de 10%, le coefficient d’élasticité sera égale à -0,6. Enfin, l’élasticité sera unitaire et son coefficient sera égal à -1 lorsque la variation de la quantité demandée sera égale au pourcentage de variation du prix.
L’élasticité de l’offre
Par analogie avec la demande, le coefficient d’élasticité de l’offre correspond à la variation en pourcentage des volumes offerts divisée par la variation en pourcentage du prix. Dans la mesure où l’offre est habituellement une fonction croissante des prix, le coefficient d’élasticité est positif.
Tout comme la demande, l’offre peut être élastique, c’est-à-dire qu’à une variation importante des prix répondra une variation encore plus importante des volumes offerts. Dans le cas où une variation des prix se traduit par une variation moins importante sur les volumes offerts, on parlera d’offre inélastique. Enfin, l’élasticité de l’offre est unitaire quand pour chaque variation des prix, on obtient une variation identique des volumes offerts.
Figure 4.19 – Elasticité de l’offre
Une offre élastique signifie que les vendeurs sont relativement sensibles à un changement de prix. Par exemple, une hausse des prix les incitera à vendre davantage de titres ; or si les vendeurs profitent d’une hausse des prix pour se débarrasser de leurs titres, c’est parce qu’ils estiment que ce mouvement ne va pas durer.
Pour le chartiste, le prix est le critère déterminant pour acheter ou vendre un actif financier. Or parmi les nombreux facteurs explicatifs de la sensibilité aux prix, il en est qui retiennent plus particulièrement son attention, ce sont les anticipations. Si vous avez repéré une résistance et que celle-ci est franchie, vous allez très certainement acheter le titre parce que selon la logique chartiste il devrait continuer à monter ce qui vous permettra de le revendre plus cher.
Le concept d’élasticité est riche d’enseignements. Habituellement utilisé dans les stratégies marketing des entreprises, ce concept peut également être très utile à ceux qui s’intéressent à la finance comportementale en ce sens qu’il permet de rendre compte de manière valable des rapports de force qui s’exercent sur les marchés financiers.
Il permet notamment de chiffrer les réactions psychologiques des acheteurs et des vendeurs et de déterminer leur degré de frilosité ou d’avidité. Il permet aussi de comprendre avec beaucoup plus de finesse et de précision ce qui se passe dans une phase d’accumulation ou de distribution : la première se définit par une demande élastique et une offre inélastique, tandis que la seconde se caractérise par une offre élastique et une demande inélastique.
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